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J'ai pendant longtemps développé un travail sur l'image, la photographie et la mémoire, sa matérialité et sa fragilité. Des vidéos pouvaient ainsi être projetées et apparaissaient brièvement dans une expiration ou bien des photographies étaient imprimées sur un matériau transparent et figées dans un mouvement, les échappant à la planéité.

 

Puis d'elle-même l'image parfois imprimée sur du tissu s'est défaite, s'est détissée jusqu'à perdre les formes qu'elle contenait, ne gardant que la trame et la couleur. J'ai réalisé que ce qui me fascinait vraiment, c'était cette disparition, la transparence (qui a toujours était présente dans mon travail), la trame, le fil, le presque rien... La rupture n'a pas été évidente mais libératrice. L'image est quelque part un peu toujours présente en filigrane dans mes recherches.

Je me suis tournée vers une pratique plus formelle, avec un intérêt marqué pour la ligne.

 

Les images qui m'inspirent aujourd'hui sont principalement issues de la nature : des organismes vivants, des fonds sous-marins aux champignons, mais aussi les dentelles traditionnelles réalisées à la main. Le rapport au « faire » et à la répétition d'un geste étant récurrent dans mon travail.

 

J'utilise la transparence pour engager le spectateur et stimuler sa perception.

 

Le hasard et la répétition entrent souvent en jeu dans la réalisation de mes pièces. La forme qui naît se construit ainsi presque de manière autonome, je me laisse guider par elle.

 

Les formes réalisées que ce soit des sculptures libres ou encadrées peuvent être présentées de différentes manières, posées, accrochées, suspendues, dans un sens ou dans un autre. J'aime que celles-ci puissent évoluer, se côtoyer, se chevaucher en fonction des espaces ou du temps.

 

Il règne une grande diversité dans les matériaux que j'utilise. Je travaille beaucoup par séries. Je découvre un matériau qui éveille chez moi un vif intérêt, j'en explore le potentiel, en teste les limites, les contraintes et les qualités, voit ce que je peux raconter avec lui.

 

La techniques du shibori 3d (détournée à ma manière) avec l'organza de polyester m'a ainsi permis de réaliser des structures transparentes conservant la forme de leur matrice comme des sortes de mues, d'exuvies. Je viens aussi parfois déplacer la trame du textile, ajourer plus ou moins la matière afin d'apporter une vibration à la surface.

 

La porcelaine travaillée en filaments s'approche plutôt de l'os, de la carapace, des exosquelettes de certains protistes. Je laisse à la porcelaine le côté brut poreux du biscuit et j'y associe parfois des formes en organza. Les deux n'offrent pas les même types de transparence et leur rencontre créé un dialogue, me permet de jouer des dessus-dessous. J'invente des formes hybrides qui pourraient évoluer, et être réassemblées différemment. Tout comme le vivant, la création doit être en mouvement.

 

Les filaments de PLA m'ont vraiment séduite par leur finesse ainsi que la tension qu'on peut obtenir. Je les ai dans un premier temps utilisés à contre-courant, avec une imprimante 3D, non pour créer des volumes mais pour réaliser des dessins sans support et les plus fins possibles.

J'utilise aussi ces filaments avec un stylo 3d pour dessiner dans l'espace des réseaux, créer des accumulations de lignes, des entrelacs. On peut y voir une analogie entre les tiges volubiles de certaines plantes parfois invasives.

 

Le cyanotype est une technique sur laquelle je reviens de temps à autre et j'utilise comme matrice des éléments précédemment cités (organza, filaments...). Parfois c'est le hasard qui compose ces photogrammes.

 

La dentelle est une pratique récente pour moi. Il y a tant de similitudes entre les points de dentelles et les vues macroscopiques des formes du vivant que j'avais envie de les réinterpréter avec cette technique.

 

La mémoire est toujours présente : mémoire des formes issues du thermoformage du tissu ou des formes en porcelaine obtenues par coulage ou à l'aide de moules. Les filaments de PLA eux aussi impliquent une matrice, un support, la trace laissée par la lumière avec les procédés photographiques.

 

Entre légèreté et fragilité, mes recherches plastiques sont le reflet de mes propres inquiétudes. Elles questionnent la vanité de toute chose : nos souvenirs, les matériaux que vous utilisons, l'impact de l'homme sur la planète, notre propre finitude.

L'image m'intéresse depuis longtemps. Je puise en général dans le stock d'images existantes (internet, photos de famille, archives...) et les manipule ; tour à tour gravées dans du PVC, imprimées sur soie et détissées, imprimées et déformées, latentes et n'apparaissant que dans une buée. Je questionne sans cesse le support matériel et virtuel de la photographie et fait référence à son histoire (lumière, photogrammes, lanternes magiques, planéité de la surface, liens avec la transparence...). Le ténu, l'inframince est toujours présent en filigrane.

En voulant passer à travers l'image, en touchant à la limite de la perception, ne sont restés que des fragments, des couleurs... presque rien.

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Stéphanie Letessier, méandres de l'image

 

Stéphanie Letessier travaille en série des images qu’elle déforme. Sa création artistique puise ses supports dans des images déjà existantes. Une raison à cela, dans un monde quasiment saturé d’images, la volonté de ne pas en créer de nouvelles fait partie de sa pratique. Ainsi cette récupération ne confère à ses gestes que la mise en forme.

Elle tort, détourne, transpose. Cette déformation brouille l’image, lui confère une existence d’objet, de sculpture. Les altérations générées sont comme autant de plis dévoilant la complexité à la fois plastique et humaine d’un cliché. Les photos servant ce protocole proviennent en partie des collections familiales ou d’internet. Malgré cette origine paradoxale, l’artiste les considère comme une porte ouverte sur les souvenirs de chacun. Elles sont des images collectives.

La transparence de ces objets mémoriels, conduit à donner un caractère immatériel à l’image et à la rendre fugace, mentale, plus qu’une archive ou un document.

 

À chaque fois l’image offerte au regard est un fragment, une image qui ne se dévoile pas. Une image rémanente, mais qui est incomplète. Elle contrarie notre regard qui ne peut saisir l’intégralité de l’image source. Dans ces lacunes se construit notre absorption empathique. Comme le souvenir peut être flou ou incomplet, les oeuvres de Stéphanie Letessier constituent un archivage universel. Non comme une base de données mais comme une source de ressentis physiques et mentaux.

Ghislain Lauverjat, revue Laura n20

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© 2024 Letessier Stéphanie

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